La ministre Geneviève Guilbault n’a pas su trouver les mots pour apaiser le mécontentement des leaders politiques et économiques de Chaudière-Appalaches provoqué par l’abandon de la promesse de construire un troisième lien routier entre Québec et Lévis. « Le lien autoroutier Rive-Sud–Rive-Nord, on y tient », pouvait-on encore lire sur le panneau d’affichage électronique de la municipalité de Saint-Lazare-de-Bellechasse après son passage jeudi après-midi. Les appels à la raison de la ministre des Transports, et amoureuse de la langue française, ont échoué. Et maintenant ?
Comment les électeurs choqués de l’abandon de la promesse de construction d’un tunnel routier sous le fleuve Saint-Laurent, de Bellechasse et d’ailleurs, peuvent-ils se faire entendre par la Coalition avenir Québec d’ici les prochaines élections générales, qui sont prévues le 5 octobre 2026 ?
« Les outils sont limités en cours de mandat », explique le professeur à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, Jean-François Daoust. « Ils peuvent envoyer des signaux de mécontentement » — comme ceux apparaissant dans le dernier sondage Léger — pour contraindre le gouvernement Legault à leur « proposer des solutions alternatives » afin d’accroître la mobilité et la sécurité sur les routes de l’agglomération de Québec ou leur offrir toute autre « compensation », ajoute-t-il.
Peu importe leur majorité parlementaire, les chefs de gouvernement demeurent sensibles, entre deux rendez-vous électoraux, non seulement aux rapports de sondage, mais également à la pression exercée par des coalitions d’élus et de non-élus sur les membres de leur groupe parlementaire et de leur parti politique et, par ricochet, sur les membres du Conseil des ministres, fait remarquer un stratège politique qui a vu neiger.
D’ailleurs, celui-ci s’explique mal pourquoi des députés caquistes se sont retrouvés du jour au lendemain sur la ligne de front avec, pour seule arme, la promesse de construire un lien réservé exclusivement au transport collectif entre les centres-villes de Québec et de Lévis. « Un lance-pierres », à ses yeux, pour mater une « fronde » particulièrement dangereuse puisqu’elle est menée par des personnes jusqu’alors dans leur propre camp.
La CAQ a vu ses appuis dégringoler dans la région métropolitaine de recensement (RMR) de Québec, passant de 40 % à 26 % entre février et mai (-14 points), a observé Léger.
Si le « signal de mécontentement » demeure « assez fort », les caquistes n’auront d’autres choix que de « trouver des solutions alternatives qui pourraient apaiser potentiellement la grogne », souligne le professeur Daoust. Mais, « si ce n’est plus dans l’ordre du jour médiatique deux semaines après, et que le gouvernement a encore un bassin d’appuis très fort qui le garde en première position, il a beaucoup moins d’incitatifs à répondre, à adapter sa stratégie », poursuit-il.
En route vers 2026
Les élections générales sont une occasion en or de punir (ou de récompenser) un parti politique. Malgré tous ses défauts, le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour « est le meilleur pour envoyer un signal clair de mécontentement, pour tenir responsable la personne qui nous a déplu durant le mandat », juge Jean-François Daoust, à près de trois ans et demi du prochain scrutin.
Les électeurs ont la mémoire longue. L’équipe de Philippe Couillard l’avait appris à ses dépens lors des élections générales de 2018. Lors du vote, plus d’un électeur avait encore au travers de la gorge les mesures de « rigueur budgétaire » prises quelques années auparavant afin de « littéralement sauver le Québec », à commencer par celle de hausser les tarifs des services de garde éducatifs à l’enfance — ce que le Parti libéral du Québec avait pourtant promis de ne pas faire durant la campagne électorale de 2014.
La modulation des tarifs des services de garde en fonction des revenus des parents avait choqué des électeurs de toutes les allégeances politiques — dont des péquistes qui appuyaient d’une façon ou d’une autre le Parti québécois, des solidaires qui appuyaient d’une façon ou d’une autre Québec solidaire, etc. —, aux quatre coins du Québec. En revanche, l’abandon du projet de troisième lien routier entre Québec et Lévis fâche d’abord et avant tout les sympathisants de la CAQ de la grande région de Québec — pour qui le parti politique de François Legault était le champion du développement de l’économie, de la défense de la spécificité québécoise… et d’un troisième lien routier Québec-Lévis.
« Pas une catastrophe pour l’instant »
Pour le moment, la baisse des appuis observée par Léger est, oui, « très importante à Québec » (-14 points), mais « ce n’est pas non plus une catastrophe pour l’instant », nuance Jean-François Daoust. La CAQ reste le parti politique le plus populaire au Québec, récoltant 36 % des intentions de vote (-4 points) contre 22 % pour le PQ (+4 points), 16 % pour QS (-1 point), toujours 14 % pour le PLQ et 10 % pour le Parti conservateur du Québec (+1 point), qui a gagné six points dans la RMR de Québec.
Néanmoins, plusieurs délégués de la Capitale-Nationale esquisseront un sourire forcé lors du Congrès de la CAQ, à Sherbrooke, le week-end prochain. Ils débattront notamment d’une proposition appelant le gouvernement à « favoriser l’intégration des différents réseaux de transport en commun en périphérie des centres urbains », mais pas de l’abandon du projet de troisième lien routier Québec-Lévis, selon le cahier du participant du congrès distribué vendredi.
La tentation d’« envoyer des signaux de mécontentement » à leur chef, François Legault — qui doit d’ailleurs se soumettre à un vote de confiance — sera grande pour certains d’entre eux.