Un projet de mine de cuivre au cœur de la forêt

La pourvoirie le Fer à cheval est peu achalandée en ce début décembre. Malgré une première neige épaisse, il faudra attendre encore un peu de temps avant que les sentiers de motoneige amènent les premiers villégiateurs de la saison hivernale.

Seuls pensionnaires : une petite équipe de l’entreprise Kintavar Exploration qui termine des opérations de forage dans le secteur et amorce des travaux d’échantillonnage de carottes.

Ici à la pourvoirie, il y a beaucoup de touristes. Il y a des touristes qui viennent d’un peu plus loin et il y a aussi des touristes des régions qui viennent, et ils posent tout le temps la même question : ”Ça va se fermer quand la pourvoirie? C’est quand que la mine, ça ouvre?’’, raconte Kiril Mugerman, président-directeur général de Kintavar Exploration.

L’entreprise explore le secteur depuis 2017 et a fait l’achat de la pourvoirie il y a trois ans. Son équipe a installé ces opérations d’échantillonnage à l’arrière du bâtiment, dans des conteneurs chauffés.

Les gens ont peur, ils pensent que la mine, c’est la même chose que ce qui était fait il y a cinquante ans. Tout le monde a l’idée de Val d’or qui était dans les années 60, c’était des régions pas trop propres… Personne n’a aimé le développement minier dans les régions au nord du Québec, ça fait cinquante ans, mais aujourd’hui, ce n’est pas pareil.

Ce ne sont pas toutes les explorations qui mènent à l’ouverture d’une mine, mais les résultats jusqu’à ce jour sont très prometteurs, selon Kiril Mugerman qui compte bientôt passer à la phase de développement pour définir exactement de quoi aurait l’air un projet minier dans le secteur.

Pour les métaux critiques et stratégiques, on voit beaucoup d’intérêt. Ici au Québec, par exemple, il n’y a pas de mine de cuivre. Depuis les années 80, 90, elles sont toutes épuisées. Alors on est la prochaine vague de gisements de cuivre, de gisements de métaux critiques, explique le président-directeur général de l’entreprise.

Le cuivre ça va dans tous les câblages électriques dans les véhicules, ça va pour brancher toutes les stations de charge, les stations éoliennes pour faire l’électricité […], pour créer les moteurs électriques…

Les gouvernements canadiens et québécois se sont tous les deux récemment dotés de plans pour valoriser les minéraux qu’ils jugent critiques à la transition énergétique et ainsi assurer leur place de cette nouvelle économie mondiale.

La zone d’exploration Mitchi, soit la plus prometteuse de Kintavar Exploration se situe à quelques kilomètres de la pourvoirie et est accessible en motoneige à ce temps-ci de l’année. Sous le couvert de neige, les trous de forage sont presque invisibles. Seul indice de la présence d’exploration minière; de petits drapeaux orange qui indiquent d’où ont été extraites les carottes qui sont maintenant analysées.

Une mine qui se fond dans le décor, ou du moins qui le perturbe le moins possible, Kiril Mugerman estime que c’est possible. On veut être un exemple pour l’industrie minière autant que pour les gouvernements. Comment est-ce qu’on peut développer une mine et en même temps garder aussi tout ce qui est le côté écologique, environnemental, fonctionnel.

Michel Newashish est chef de territoire pour la communauté de Manawan. Son camp de chasse est situé tout près de la pourvoirie. Il vient y faire son tour de temps en temps pour discuter de l’avancement du projet.

Celui qui veille sur le Nitaskinan, le territoire ancestral revendiqué par la Nation atikamekw, depuis plus de 30 ans, sait bien que ce n’est pas parce que la forêt est grande, qu’on ne s’y pile pas sur les pieds. Dans le temps, ce n’était pas facile d’être en relation avec les non-autochtones, raconte-t-il.

Le chef de territoire voit toutefois d’un bon œil l’arrivée du projet. Il entretient de bonnes relations avec le vice-président exploration de l’entreprise, Alain Cayer depuis plusieurs années déjà.

Pour moi c’était d’un naturel. Quand on arrive chez quelqu’un, c’est normal d’aller cogner à la porte et de dire : ‘‘Regardez je vais être à proximité, on va se croiser cet été. […]” Voici les travaux que je prévois de faire. Est-ce qu’il y a des secteurs qui pour vous sont importants? Avez-vous des recommandations? Avez-vous des gens qui sont intéressés pour venir travailler avec nous?, explique pour sa part Alain Cayer.

L’entreprise dit vouloir embaucher des travailleurs atikamekw lorsque les travaux pour la mine seront plus avancés. Alain Cayer pense à mener des rencontres et des formations dans la communauté de Manawan.

Une proposition intéressante, selon Michel Newashish qui y voit là un choix économique. Dans notre communauté, il y a beaucoup de décrochage et on veut s’occuper de ces jeunes-là et on veut les envoyer travailler quelque part et je pense que dans l’avenir, eux autres c’est dans le bois, ils veulent aller dans le bois.

Au Conseil des Atikamekw de Manawan, à une centaine de kilomètres plus au sud et à l’est, le chef, Sipi Flamand, révèle ne pas avoir encore eu de contacts avec l’entreprise. Il sait toutefois que des familles du territoire touché par le projet ont été directement interpellées.

La compagnie a encore le temps de faire des communications avec la communauté de Manawan. C’est une nécessité si on veut partir dans un dialogue. Toutes les entreprises même devraient d’ailleurs communiquer avec les communautés autochtones, commente-t-il.

Il est encore trop tôt dans le développement du projet minier pour que la communauté de Manawan se positionne en faveur ou en défaveur, mais elle invite Kintavar Exploration à entamer ce processus de dialogue.

Sipi Flamand rappelle que l’article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada reconnaît les droits ancestraux des peuples autochtones. Son conseil défend aussi la notion de consentement libre, préalable et éclairé, comprise dans la Déclaration sur les droits des peuples autochtones des Nations unies.

Les ours, les orignaux, les plantes médicinales qui font partie intégrante de la culture atikamekw, sont eux aussi pensionnaires de la forêt.

À une centaine de kilomètres plus au nord, le conseil atikamekw de la communauté de Wemotaci surveille une autre zone explorée par la compagnie Kintavar Exploration, nommée Wabash. Patrick Boivin est le porteur de dossier du bureau de gestion des territoires où le projet d’exploration se déroule.

Nous autres honnêtement, on est très sensibles à ça, tout ce qui est l’exploitation minière. C’est quand même nouveau pour nous. Habituellement, c’est beaucoup l’exploitation forestière. Déjà là on est sensible à ça. C’est l’environnement. Nous autres, on vit de la forêt, raconte-t-il.

La communauté de Wemotaci a reçu la visite du vice-président exploration de l’entreprise plusieurs fois. C’est la première fois qu’une personne comme monsieur Cayer vient. Il a traversé le pont ici, il est arrivé, il s’est annoncé et là il est revenu par la suite pour venir faire une mise à jour d’où il en était.

Une approche qui fait changement. La communauté estime avoir été trop souvent exclue des projets qui se déroulaient sur son territoire. On veut changer la tendance, on veut être inclus dans les discussions, même en amont. […] On trouve des moyens de créer une discussion avec ces gens-là et c’est ça l’avenir pour Wemotaci. On ne veut plus être les derniers, on veut être inclus dans le processus.

Pour Patrick Boivin, la clé est la transparence et la communication. Le conseil atikamekw de Wemotaci veillera à ce que les gens de la communauté soient informés et consultés si un projet de mine devait se concrétiser. Ce ne sera pas nous autres qui va prendre la décision finale.

Au village de Parent, un secteur éloigné rattaché à la municipalité de La Tuque, près de la communauté atikamekws, les résidents entendent parler depuis quelque temps d’un projet de mine près de chez eux, mais les informations filtrent peu.

Au magasin général, on discute. Les opinions divergent: certains estiment que la faune et la flore de la forêt du Haut-Saint-Maurice ont déjà été trop perturbées. On donne en exemple les loups qui sont de plus en plus fréquents au cœur du village. Une résidente confie qu’elle ne laisse plus ses chiens sortir la nuit.

Pour d’autres, la perspective d’un nouvel employeur est intéressante. Les emplois se font rares à Parent et ceux qui sont laissés vacants attirent peu de candidats. Le restaurant de l’hôtel, le seul à des kilomètres, est toujours fermé, faute de personnel.

Ce qui est important pour un secteur comme Parent, c’est d’attirer de nouvelles familles pour venir sécuriser notre école, nos infrastructures, toutes ces choses-là, estime le conseiller municipal du secteur Éric Chagnon.

La petite communauté a une école qui se termine en secondaire trois. Les plus vieux doivent déménager à La Tuque pour poursuivre leurs études. Éric Chagnon aimerait bien avoir l’argent pour restaurer certaines infrastructures du village, mais l’argent n’y est pas.

Kintavar Exploration est loin de la coupe aux lèvres et l’arrivée d’une mine de cuivre dans la forêt du Haut-Saint-Maurice est incertaine. Alain Cayer ne veut pas s’avancer sur un échéancier, mais estime que si le projet se concrétise une mine pourrait voir le jour en moins de 10 ans. Aujourd’hui pour développer une mine, la quantité de permis que ça prend, la quantité d’évaluations environnementales, de réglementations qu’il faut respecter pour ouvrir une mine, c’est énorme, affirme le président directeur-général de l’entreprise.

Mais avec le boom de projets d’exploration minière qui prend d’assaut le Québec, les acteurs du territoire font entendre leurs voix et veulent des réponses plus tôt que tard. Si on parle de réconciliation, il faut que les compagnies, les entreprises aient une conscience sociale sur les démarches [qu’elles entreprennent], ajoute Sipi Flamand, chef du Conseil des Atikamekw de Manawan.

Il y a beaucoup de parties prenantes qu’il faut prendre en considération qui auparavant ne l’étaient pas, explique Alain Cayer. Consulter les populations locales, les autochtones, les Premières Nations, impliquer le plus possible les gens. Qu’est-ce qu’on veut faire? Pourquoi on veut le faire? Et qu’est-ce que ça peut apporter pour les générations futures?

Des questions qui restent encore en suspens, alors que la neige, elle, continue de tomber sur la forêt.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *