Les dons ne sont plus acceptés dans toutes les églises

Dans les jours et les semaines qui ont suivi le début de la guerre, les églises ukrainiennes de Montréal croulaient sous les dons. Un an plus tard, la générosité des Québécois n’a pas fléchi, mais l’ensemble des dons matériels sont désormais regroupés dans une seule église, rue D’Iberville. Les autres n’acceptent plus que des dons en argent ou en cartes-cadeaux. Tour d’horizon de la situation.

Au coin du boulevard Saint-Michel et de la rue de Bellechasse, devant la cathédrale orthodoxe ukrainienne Sainte-Sophie, signe que le temps passe, les immenses pancartes bleu et jaune invitant les passants à faire des dons ont cédé leur place à une simple affichette plastifiée signalant la disparition de Truffe, un félin en cavale.

Une sonnerie de cellulaire retentit dans la magnifique cathédrale, où flotte une odeur d’encens. Le prêtre Volodymyr Kouchnir extirpe l’appareil de la poche de son pantalon, sous sa soutane noire. Régulièrement, il reçoit des appels de gens qui souhaitent faire des dons : des meubles, des articles ménagers, des denrées non périssables. Certains proposent même des appartements à louer, qu’il va annoncer à la fin de la messe, après les prières pour tous les membres des familles des paroissiens qui sont au front ou qui sont décédés.

 

Volodymyr Kouchnir joue les intermédiaires, mais n’entrepose plus rien dans son église. Pendant les mois qui ont suivi le déclenchement de la guerre, la salle paroissiale au sous-sol croulait sous les dons. « On en avait jusqu’au plafond », se remémore-t-il. Des conteneurs ont été envoyés en Ukraine, mais la majorité des biens amassés était destinée aux nouveaux arrivants ukrainiens qui devaient repartir de zéro à Montréal.

Besoin de réconfort

Ces derniers descendaient au sous-sol après la messe et se servaient dans le bazar puis rentraient chez eux. Mais, cet automne, le prêtre a constaté que l’espace occupé l’empêchait de répondre à une autre nécessité, tout aussi urgente. « Les gens avaient besoin de parler, de partager leur histoire, leur tristesse. Ils ne voulaient plus prendre des choses et rentrer chez eux, ils voulaient un endroit pour échanger. »

Pour faire de la place, le prêtre a décidé d’envoyer ces biens matériels à l’église catholique Saint-Michel-Archange, rue D’Iberville, qui accepte encore les dons. Désormais, après la messe, les paroissiens sont plutôt invités à venir boire un café dans la salle paroissiale du sous-sol, où ils restent pendant des heures.

« C’est dur, de porter ce poids tout le temps ici, confie le prêtre en portant les mains à son coeur. Les gens sont contents d’avoir un espace confortable pour partager leur souffrance. Je suis là pour les écouter, pour leur offrir un soutien spirituel. »

 

Le fait que les réfugiés soient moins nombreux à débarquer à Montréal depuis le boom de l’été dernier et l’épuisement des troupes ont aussi joué un rôle dans la décision. Recevoir et trier une telle quantité d’objets et de vêtements de toutes sortes demande beaucoup d’énergie, explique Anna Malynowsky, responsable des dons à la cathédrale Sainte-Sophie. « On était là depuis le premier jour, mais on était fatigués, on avait besoin de ralentir la cadence. »

À quelques rues de là, à l’église orthodoxe ukrainienne Sainte-Marie-la-Protectrice, sur le boulevard Rosemont, quelques manteaux et vêtements sont entassés pêle-mêle dans un recoin de la salle communautaire. C’est tout ce qui reste du bazar depuis que l’église a cessé de recueillir des dons autres que financiers au début de l’hiver. « L’argent, c’est la meilleure chose, ça permet d’acheter de la nourriture et les choses dont ils ont vraiment besoin », résume Rozalie Grishina.

Les soeurs Smaha

Les réfugiés nouvellement arrivés, qui ont besoin de tout, sont envoyés à l’église de rue D’Iberville. Des bibelots, des articles de cuisine et de literie, des jouets, des couches et des denrées non périssables s’entassent sur deux étages dans cette caverne d’Ali Baba. Les vêtements sont tellement nombreux qu’ils sont classés par catégories et par tailles, comme dans une vraie friperie.

Ici, c’est le royaume des soeurs Doris et Janie Smaha, deux Québécoises nées d’un père ukrainien. C’est tout naturellement qu’elles ont décidé de venir prêter main-forte au début du conflit, il y a un an. « On a été baptisées dans cette église, raconte fièrement Doris. Mon père a connu la guerre de 1945, ça venait nous chercher, on avait besoin de s’impliquer. »

 

Des vêtements chauds et des sacs de couchage ont été envoyés en Ukraine pour soulager du froid les soldats et la population, qui vivent de grands moments de la journée sans électricité. Des médicaments ont également été acheminés au pays. Mais la très grande majorité des choses amassées servent aux femmes et aux enfants qui sont venus se réfugier au Canada. « Les gens prennent ce qu’ils veulent, explique Doris. Ils ne parlent ni français ni anglais, mais on voit à leur grand sourire qu’ils apprécient. Ils démontrent beaucoup de gratitude. » Mais Doris se désole de ne pouvoir répondre à tous les besoins. « On a besoin de matelas, de literie, de serviettes, de chaudrons, de vaisselle, de mitaines et de nourriture non périssable. »

Doris et Janie ne parlent pas l’ukrainien. Elles ont appris quelques mots depuis qu’elles font du bénévolat à l’église, mais elles communiquent principalement en mimant leur intention. Dans le « département literie », particulièrement dégarni,Doris croise Tamara, une bénévole arrivée au Québec au début de la guerre. « Elle est tout le temps ici, elle s’ennuie à la maison, elle a besoin de socialiser et de se rendre utile », raconte-t-elle.

Espoir

À travers tout ça, les Ukrainiens tentent de trouver des moyens d’amasser de l’argent pour aider leurs compatriotes au front. Lors du passage du Devoir à la cathédrale Sainte-Sophie, le prêtre Volodymyr Kouchnir était en pleine préparation d’un concert-bénéfice pour la Saint-Valentin dans la salle paroissiale. « Je vais moi-même chanter un petit morceau, car j’adore chanter », affirme-t-il fièrement tout en présentant un disque compact de chants ukrainiens qu’il a enregistré il y a quelques années.

L’événement aura servi à amasser des fonds, mais également à apaiser les coeurs, explique-t-il. « Les nouveaux paroissiens ont besoin de ça. La musique, c’est thérapeutique. Mais il n’y aura pas de danse. Dans les circonstances, avec la guerre, ce serait très déplacé. On va danser – et boire, et manger, et célébrer — quand la guerre sera terminée. »

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