Laval, deuxième ville en importance du Québec, autorise la destruction d’un bâtiment patrimonial situé à côté d’une maison de 1694 sise sur le boulevard des Mille-Îles. La maison et les lieux, malgré leur importance, n’ont jamais été protégés par la municipalité, ni par l’État.
La municipalité observe tout simplement, dans un arrêté officiel, que le bâtiment visé n’est pas en bon état. Cela cause, toujours selon la municipalité, une « détérioration de la qualité de vie du voisinage », dans la mesure où le bâtiment en question est « visible de la rue ».
Malgré une opposition à ce projet de démolition formulée par Fédération Histoire Québec et la Société d’histoire et de généalogie de l’île Jésus, Laval indique qu’elle « accepte la demande de démolition pour un bâtiment accessoire d’intérêt patrimonial ». La population a encore trente jours pour s’y opposer. Aucun plan, par ailleurs, n’a été annoncé par la Ville pour protéger et restaurer le coeur de ce site : une rare maison datant du Régime français, la plus vieille de Laval et une des plus anciennes de toute la région.
Un patrimoine à l’abandon
La demeure est laissée à l’abandon depuis des années. Les photographies réalisées il y a quelques jours à peine par Le Devoir en témoignent. La Fédération Histoire Québec et la Société d’histoire et de généalogie de l’île Jésus s’en désolent. Selon eux, la demeure « devrait se trouver en tête de liste des bâtiments à protéger sur le territoire de Laval », et on devrait prendre très au sérieux la protection de son environnement immédiat.
La Fédération Histoire Québec et la Société d’histoire et de généalogie de l’île Jésus ne s’expliquent pas ce manque d’entrain à assurer la protection et la revitalisation de « ce bâtiment incontournable du patrimoine lavallois ». Celui-ci est laissé à lui-même depuis plusieurs années, déplorent les deux organismes. Et voici que sa propriétaire obtient, après plusieurs démarches, le droit de démolir un bâtiment adjacent, reconnu patrimonial, mais pour lequel aucune évaluation n’a été faite.
Pourtant, la maison de 1694 est jugée d’un très grand intérêt depuis longtemps. Dès 1927, dans un inventaire précurseur des plus anciens bâtiments du Québec, l’archiviste Pierre-Georges Roy note l’importance de la demeure et de ses environs. Il s’en explique dans un livre, Vieux manoirs, vieilles maisons, un ouvrage de référence, encore aujourd’hui, pour qui s’intéresse à l’héritage architectural québécois. Une photographie d’époque montre d’ailleurs la maison en bel état, bien qu’elle ait été modifiée, probablement au XIX1e siècle, sous l’influence des façons de faire britanniques.
Typique
En 2016, dans un rapport d’expertise réalisé par la firme Patri-Arch, les auteurs signalent la grande valeur du lieu et l’importance de le protéger. Elle souligne également « un excellent potentiel de mise en valeur ». Depuis, une suite de maisons récentes n’a cessé de pousser à proximité. Elles mettent la demeure patrimoniale sous haute pression.
« Cette maison d’esprit français est typique des premières maisons de pierre construites au Québec par les colonisateurs français qui empruntaient aux façons de construire dans leur pays d’origine, au nord de la Loire », soutiennent la Fédération Histoire Québec et la Société d’histoire et de généalogie de l’île Jésus. « On observe un plan presque carré, une solide et massive structure de pierre, peu dégagée du sol, munie d’une fenestration réduite, particulièrement dans les murs pignon, deux cheminées-foyers encastrées dans les murs pignon et une toiture à forte pente. »
La maison et son environnement immédiat ont besoin d’être restaurés et valorisés. Mais les spécialistes s’accordent pour dire que rien n’est perdu. Au contraire. « Il est remarquable qu’après plus de trois cents ans, cette maison présente une maçonnerie très solide, des cheminées impeccables et une structure de toit sans déformations visibles. L’ajout de lucarnes non appropriées, d’auvents de galeries et de fenêtres de différents types représente des transformations réversibles. »
Est-ce que le permis de démolition accordé par la municipalité risque d’atténuer la valeur du lieu ? La Fédération Histoire Québec et la Société d’histoire et de généalogie de l’île Jésus estiment en tout cas que la création d’une aire de protection doit impérativement être envisagée afin d’assurer, pour l’avenir, l’intégrité de tout le site.
Cette demeure de 1694 risque-t-elle de disparaître elle aussi, dans une autre avancée du projet domiciliaire qui colonise les environs ? En attendant, même la valeur patrimoniale du bâtiment qui sera détruit ces prochains jours reste « non évaluée », de l’aveu même de la municipalité, même si l’on sait qu’il est très ancien, comme l’indique sans sourciller le comité de démolition de la ville.