Glace, Tylenol et soins à domicile pour éviter l’ambulance

Jacques Champagne attend l’ambulance, assis dans le hall du refuge pour itinérants de Montréal où il habite. La veille, il a fait une mauvaise chute et a patienté 14 heures à l’urgence. « J’ai passé des radiographies et je n’ai rien », dit l’homme de 74 ans, qui marche avec une canne. Mais il a encore mal aux genoux et il est inquiet. Il a demandé à un intervenant du centre d’hébergement d’appeler le 9-1-1.

L’ambulance n’est jamais arrivée. Urgences-santé a jugé le cas de M. Champagne non urgent. La centrale a dépêché au refuge, situé dans l’ancien Hôtel-Dieu, un véhicule d’intervention blanc. À bord, aucune civière. Uniquement un technicien ambulancier paramédical, muni d’un moniteur-défibrillateur semi-automatique, d’une bouteille d’oxygène et de tout le nécessaire d’urgence.

Dès son arrivée sur les lieux, le paramédical et instructeur d’Urgences-santé Pascal Lavoie a pris les signes vitaux de M. Champagne. Il l’a questionné sur sa chute, ses douleurs aux jambes et sa prise de médicaments. Il a ensuite contacté une collègue infirmière de la centrale pour procéder à une « coévaluation ». Cette dernière a interrogé le patient au téléphone et a recommandé, après avoir consulté M. Lavoie, des autosoins : de la glace et du Tylenol.

C’était mardi soir de la semaine dernière. Le Devoir accompagnait Pascal Lavoie sur le terrain. Une première incursion dans le monde des paramédicaux communautaires d’Urgences-santé, la plus grande organisation de services préhospitaliers au Québec.

Depuis septembre, la société publique desservant les territoires de Montréal et de Laval déploie un nouveau programme afin de réduire le nombre de transports de cas non urgents en ambulance.

Selon Urgences-santé, plus de 220 consultations à l’urgence ont été évitées jusqu’à présent : les patients ont été réorientés vers d’autres ressources comme une clinique médicale, une pharmacie ou même un dentiste. Une centaine d’autres transports n’ont pas eu lieu, car les usagers se sont rendus à l’hôpital par d’autres moyens, indique l’organisation.

« Jusqu’à présent, le taux de réorientation des appels coévalués vers un autre moyen que le transport ambulancier est d’environ 75 % », indique Julie Nantel, agente de planification et programmation chez Urgences-santé.

Devant un tel succès, le programme a été étendu à 18 milieux de vie pour aînés à la fin janvier. L’objectif ? Éviter des transferts de personnes âgées en ambulance vers l’hôpital lorsque c’est possible.

Selon l’infirmière Catherine Gendron, les patients sont « souvent » surpris de ne pas être transportés en ambulance après un appel au 9-1-1. « Mais j’ai jamais eu autant de gratitude en 15 ans [de travail] en donnant à un patient un rendez-vous [dans une clinique médicale] le lendemain à 9 h ! » dit-elle, sourire aux lèvres.

Jacques Champagne, lui, est « entièrement satisfait » du service reçu. « C’est bien, parce qu’ils prennent le temps de discuter, de trouver une meilleure façon [de nous aider] », dit l’itinérant au regard allumé, qui porte une chaîne argentée massive au cou et des bracelets aux poignets. « À l’hôpital, ils m’ont absolument rien dit [sur ce que je devais faire pour gérer la douleur]. Ils m’ont payé un taxi, parce que je n’avais pas d’argent sur moi. »

Un programme limité, pour l’instant

Quelque 200 paramédicaux d’Urgences-santé sont formés pour faire de la coévaluation avec une infirmière. Mais seulement trois véhicules d’intervention — parfois deux — sont affectés quotidiennement à ce service.

Lors de son quart de travail, Pascal Lavoie a vu trois patients. « Souvent, les problématiques qui sont moins urgentes durent depuis plus longtemps ou sont récurrentes », explique le grand gaillard à l’air calme et aux longs cheveux ramassés en toque. « Pour bien comprendre le besoin, cela demande de questionner plus en profondeur. »

C’est ce qu’il a fait lorsqu’il a rencontré un Montréalais de 67 ans, souffrant de douleurs chroniques au dos et aux jambes. À notre arrivée, le retraité, qui a travaillé physiquement toute sa vie, disait être en position debout depuis trois jours ! Il était incapable de se coucher ou de s’asseoir et n’avait pas dormi. Ses yeux rougis témoignaient d’une grande fatigue.

Pascal Lavoie a procédé à une coévaluation avec une infirmière — un paramédical n’a pas le pouvoir d’évaluer seul un patient. La demande d’ambulance a été maintenue et la priorité, rehaussée.

« Comme l’infirmière disait, il ne peut pas être assis, alors il ne peut pas prendre un taxi », dit Pascal Lavoie, une fois de retour dans son véhicule. « Mais il ne peut pas être couché. Il va faire quoi, dans l’ambulance ? Lui, sa croyance, c’était que j’allais pouvoir lui donner un médicament. On n’a pas de fentanyl pour la douleur. » Chose certaine, il ne pouvait passer une autre nuit debout.

Des urgences malgré tout

Les paramédicaux communautaires font parfois face à des situations d’urgence. Lors de sa première intervention, Pascal Lavoie s’attendait à prendre en charge un homme dans la soixantaine présentant une plaie en raison de chutes. Or, le patient (un itinérant habitant dans un refuge) avait plutôt la bouche pâteuse, une expression faciale altérée et un bras affaissé. Des signes d’un possible accident vasculaire cérébral.

Pose d’électrodes sur le thorax et l’abdomen, test de glucose, prise de la tension artérielle… Pascal Lavoie a posé rapidement plusieurs questions au patient. « Le ciel est bleu à Cincinnati, êtes-vous capable de répéter cette phrase-là ? Savez-vous on est quelle date ? » Négatif. Une ambulance a été appelée d’urgence ; elle était là en moins de cinq minutes.

« Quand un paramédic demande une ambulance, ça passe en premier », dit Pascal Lavoie. Il souligne toutefois que, contrairement à ce que bien des gens pensent, les patients qui arrivent à l’hôpital en ambulance ne sont pas nécessairement vus plus rapidement. Si leur problème est non urgent, ils iront dans la salle d’attente.

Pascal Lavoie croit qu’il faut « enseigner » à la population « comment utiliser le système de santé ». Mais le système préhospitalier doit aussi être repensé, selon lui.

Encore aujourd’hui, déplore-t-il, un appel au 9-1-1 se traduit par « une ambulance et un transport ». « C’est pas de ça que la population a besoin. Le système de santé se débat à mettre en place des services de première ligne. La coévaluation, pour nous autres, en préhospitalier, c’est faire notre part dans cette réorganisation. »

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