C’est un vendredi soir glacial de février. Il est 19 h 30, et de nombreux clients se pressent déjà aux abords discrets du Club L pour venir découvrir les plaisirs libertins. Première règle, le cellulaire doit rester au vestiaire pour assurer la discrétion des clients, mais aussi pour faire des rencontres respectant le consentement de tous. Ce soir, plus de 200 personnes sont attendues pour la soirée « génération Y/millénium ».
C’est une soirée spéciale, où seuls les couples et les femmes seules de moins de 40 ans peuvent se présenter. Chaque premier vendredi du mois, Mateo Lapointe et Andrée Allard, copropriétaires du Club L, un resto et lounge libertin situé rue Jean-Talon, à Montréal, ouvrent leurs portes à la génération montante. Les autres soirées sont ouvertes à tous, sauf aux hommes seuls, qui se voient refuser l’accès en tout temps. Avant de s’adonner toutefois aux plaisirs de la chair, les nouveaux membres, qui constituent la majorité des clients ce soir-là, doivent effectuer, avec une experte du consentement, une visite du deuxième étage, là où auront lieu les ébats.
«Le but, c’est qu’il y ait une fille nue, les yeux fermés, allongée sur la table de la salle d’orgie, et que personne ne la touche », explique Alie Valérie Hébert-Gentile, experte et formatrice au consentement de l’organisme Calia Consentement, au premier groupe constitué d’une dizaine de personnes qui visite les lieux.
La sécurité avant tout
«On a trouvé important d’éduquer les nouveaux libertins. Parfois, ce sont même des libertins aguerris, mais c’est la première fois qu’ils passent nos portes. » Lorsqu’ils sont devenus propriétaires en 2018, Andrée Allard et Mateo Lapointe, tous deux dans la quarantaine, ont fait certains choix pour assurer la sécurité de leur clientèle. « L’ouverture du Club L est venue d’un désir d’offrir quelque chose de chic, d’élégant et de sécuritaire aux libertins », explique Andrée Allard. Elle et son partenaire dans la vie comme en affaires sont libertins depuis les débuts de leur couple, il y a presque 20 ans. Conscients que les règles ne sont pas toujours bien définies dans ce monde mystérieux, ils ont misé sur une formation au consentement. « La sécurité est hyper importante dans un club libertin. Ça sécurise beaucoup les gens [de se faire parler de consentement], mais de savoir que les autres aussi se le sont fait dire », ajoute Andrée.
Dans les locaux de cette ancienne succursale de Desjardins, les bureaux des anciens conseillers financiers ont été transformés en chambres vitrées et la salle de conférences est devenue… une salle d’orgie. Or, tout n’est pas permis dans un club libertin. Certains clients sont exhibitionnistes, d’autres plus voyeurs et certains ne désirent pas nécessairement s’adonner à l’échangisme. Les chambres fonctionnent selon le principe du premier arrivé, premier servi. Lorsque les clients s’y installent, ils deviennent dès lors maîtres de la pièce et seuls ceux qui y sont invités peuvent y entrer, sauf pour la salle d’orgie. « On n’a pas le droit d’entrer ni de toucher quelqu’un dans la pièce sans un consentement explicite de toutes les personnes impliquées », fait valoir Alie Valérie à la dizaine de nouveaux clients qui l’écoutent attentivement. Pour être certains de ne pas franchir une limite, et donc que le consentement est bien explicite, il faut s’assurer de trois choses : avoir un contact visuel avec tous les participants, faire une demande claire quant à nos intentions dans la chambre et recevoir un oui enthousiaste. « En cas de doute, s’abstenir, explique-t-elle. Et si la personne refuse, on lui dit merci. Parce qu’on préfère un « non clair qu’une baise fausse ».
Une soirée propice aux rapprochements
Après la visite du deuxième étage, la soirée se poursuit. Sur la piste de danse, les langues se délient, les corps se rapprochent sensuellement. Tout est en place pour la suite… Mateo est assis dans son bureau. Derrière lui, de multiples caméras de sécurité lui permettent de garder un oeil sur les différents recoins de son établissement, sauf dans les chambres, où la discrétion est de mise. À 22 h 30, il reçoit un appel. « Oui, tu peux ouvrir l’escalier pour le deuxième étage », lance-t-il à son interlocuteur.
Les gens commencent à monter. « Il y a des vigiles en haut pour s’assurer que tout se passe bien. Si c’est ta première soirée et que tu n’es pas certain si une personne peut faire quelque chose, tu peux aller voir la vigile pour le lui demander », explique Andrée.
Sur les murs, plusieurs affiches rappellent les principes du consentement, dont l’acronyme des « oui RÉELS » expliqué par Alie Valérie, qui considère que le consentement doit être respecté dans toutes les sphères de la vie. « Le consentement doit être réversible, éclairé, enthousiaste, libre et spécifique sinon, c’est non. »
Les mythes
Depuis la fin des mesures sanitaires, Andrée et Mateo observent une recrudescence de nouveaux membres au sein de leur établissement. « Il y a aussi un côté générationnel, je pense, de vouloir être libre, de se demander si le mode de relation leur convient », soutient Andrée. Le couple doit toutefois s’affairer à défaire plusieurs idées préconçues quant aux clubs libertins auprès de sa nouvelle clientèle. « On n’est pas obligé d’être nu lorsqu’on monte au deuxième étage. On n’est pas obligé de participer. On peut être voyeur pour une soirée ou encore seul dans notre chambre. Finalement, on s’imagine souvent que c’est juste des vieux qui sortent dans les clubs libertins, mais, depuis les deux dernières années, on observe beaucoup de 25-35 ans qui viennent nous visiter. »
Le principe fondamental pour une soirée libertine réussie, c’est la communication, explique la propriétaire, tant dans le couple qu’avec les autres participants. « Je pense que la plus grande préparation qu’il faut faire est la suivante : savoir quelles sont nos appréhensions, avoir l’esprit ouvert à ce qu’il peut se passer et, surtout, être prêt à découvrir. » Ensuite, ne reste plus qu’à fermer son cellulaire et à se laisser porter par la soirée.