Février 2017. Jean-Marc Fournier s’était mis en tête, à l’aube des célébrations du 150e anniversaire de la fédération canadienne, de « reprendre le dialogue » avec les autres Canadiens pour que les parties puissent « mieux se connaître ».
Le ministre d’« allégeance québécoise » et d’« appartenance canadienne » a fait un saut dans la capitale fédérale afin de sensibiliser le cabinet de Justin Trudeau aux priorités québécoises en marge des négociations sur le Transfert canadien en matière de santé.
La diffusion des premiers épisodes du feuilleton historique Canada: The Story of Us (CBC), dans lequel les figures françaises, dont Samuel de Champlain et Louis-Joseph de Montcalm, ont été couvertes de crasse, littéralement, l’incitera à faire plus vite. « Let’s talk about us ! » s’était-il exclamé, persuadé que « la reconnaissance des identités nationales québécoise et, aussi, autochtone apparaît comme l’aboutissement naturel du projet canadien ».
Février 2023. Le travail est à refaire, constate le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet.
Selon lui, la minute du patrimoine sur la « distance ou même [la] méfiance » des Québécois par rapport à la religion livrée par le premier ministre Justin Trudeau le 1er février dernier est loin d’être suffisante pour enlever l’étiquette de xénophobe qui colle injustement à la peau du Québec dans le reste du Canada.
« Il était aussi sincère que je l’étais lors de mon serment au roi », lance-t-il dans un entretien avec Le Devoir tenu dans l’édifice de l’Ouest de la Cité parlementaire. « C’était un exercice qu’il n’avait pas le choix de faire. Il fallait qu’il essaie d’éteindre l’incendie autour de sa nomination [d’Amira Elghawaby au poste de représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie] », ajoute-t-il derrière son bureau, qu’il a regagné après s’être livré à un plaidoyer pour la sauvegarde de la disposition de dérogation de la Charte canadienne des droits et libertés dans la Chambre des communes, où, selon lui, « le Québec n’a pas beaucoup d’amis ».
Préserver l’identité québécoise
À Québec, le premier ministre François Legault a répété que le Parlement québécois devait « être prêt à l’utiliser » pour « protéger notre identité », « [nos] valeurs », « notre langue », « protéger ce qu’on a de différent au Québec ». Il l’a fait lors de l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21), au printemps 2019, puis de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (loi 96), trois ans plus tard. Ces lois « ont effet indépendamment des articles 2 et 7 à 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 », a déterminé l’Assemblée nationale avant même qu’elles ne soient contestées devant les tribunaux.
Yves-François Blanchet accuse le gouvernement Trudeau de chercher aujourd’hui à arracher un « morceau de souveraineté » des mains de l’Assemblée nationale en convainquant la Cour suprême du Canada de couper court à l’emploi préventif de la disposition de dérogation, qui permet de mettre à l’abri une loi de contestations judiciaires. « M. Lévesque avait invoqué et installé bien confortablement la disposition de dérogation dans l’entièreté des lois adoptées à l’Assemblée nationale du Québec. Il y eut bien quelques crises d’apoplexie, mais le Canada y survécut », a-t-il souligné en chambre.
« S’ils cassent la clause dérogatoire, la capacité du Québec à préserver sa différence va être plus que gravement compromise. Je me demande comment on ferait. Pour l’identité québécoise, ce serait catastrophique. Pour le principe de la démocratie, aussi », réitère-t-il dans son bureau. Des bougies brillent et des sons de violoncelle retentissent derrière lui.
Le hic : plus d’un électeur canadien — et plus d’un élu canadien — ne comprend pas pourquoi l’Assemblée nationale cherche à préserver sa spécificité au Canada quitte à faire entorse à des droits fondamentaux. « Il y a parfois une tendance dans certains appareils médias à jouer le spectacle de la polarisation », explique Yves-François Blanchet.
Répondre « aussi directement que possible »
Prêt à son tour au dialogue, le chef bloquiste prévoit se rendre notamment à Toronto, à New York, à Washington et en Europe afin de déboulonner les mythes sur le Québec qui y subsistent. « Je ne pense pas que le Canada, et en particulier l’Ontario, et Toronto, serait si hostile que ça au Québec si on se parlait plus directement. On se parle par politiciens interposés et on se parle par textes d’opinion interposés, et ça polarise énormément les discussions », fait-il valoir au Devoir.
Il promet donc de répondre « aussi directement que possible » aux questions de Canadiens, d’Américains et d’Européens sur le Québec — y compris les « positions raisonnables » identitaires qu’il a prises au cours des dernières années — de sorte qu’« à court terme et même à long terme, on ait une meilleure compréhension les uns des autres ».
« Par respect pour tout le monde »
Le premier ministre François Legault a, lui, choisi de parler de ce qui unit plutôt que de ce qui divise, lors de son passage à Ottawa plus tôt cette semaine.
Sans y penser, il s’est même mis à parler en anglais aux journalistes affectés à la couverture de la rencontre fédérale-provinciale sur le financement du système de santé. « Thank you, Heather. So I’m happy… » a-t-il lancé après avoir été invité à prendre la parole par son homologue manitobaine, Heather Stefanson. Reconnaissant sa méprise, il a esquissé une grimace. « Je vais y aller en français… »
Puis, il a coupé le sifflet à un reporter ayant poussé l’audace jusqu’à lui poser une question sur les derniers rebondissements dans l’affaire Amira Elghawaby. « Je vais vous arrêter tout de suite. Par respect pour tout le monde, je vais juste répondre aux questions concernant les transferts en santé », a-t-il indiqué.
M. Legault a rappelé que toutes les provinces s’entendaient pour dire que le gouvernement fédéral sous-finance le réseau de la santé. « C’est un problème qui est le même dans toutes les provinces et les territoires. Donc ça n’a rien à voir avec d’autres sujets comme les valeurs, la langue », a-t-il spécifié, sourire en coin.