Un détenu laissé sans surveillance au palais de justice de Sherbrooke s’enlève la vie

Un homme de 51 ans de Sherbrooke a été retrouvé mort plus d’une heure après s’être enlevé la vie au bloc cellulaire du palais de justice de Sherbrooke alors qu’il devait être sous la surveillance d’une agente. C’est ce que révèle un rapport d’enquête du coroner dont Radio-Canada a obtenu copie.

Accusé de voies de fait causant des lésions, Jean-François Ouellette était détenu depuis le 17 mars 2022 à l’Établissement de détention de Sherbrooke, aussi connue sous le nom de prison Talbot. Il avait été amené devant le juge pour son enquête sur remise en liberté au matin du 21 mars 2022. Malgré son espoir» d’être libéré, le juge refuse et l’accusé doit rester incarcéré pour la suite des procédures judiciaires.

Après sa comparution, le détenu est amené au quartier des cellules du palais de justice pour y attendre son transport vers la prison. À ce moment, Jean-François Ouellette est le seul détenu présent, les trois autres cellules étant vides. Une agente des services correctionnels, qui relève de l’Établissement de détention de Sherbrooke, est responsable de le surveiller.

Pourtant, on peut lire dans le rapport d’enquête du coroner Richard Drapeau que Jean-François Ouellette a commencé ses manœuvres pour mettre fin à ses jours à 12 h 37 selon ce qu’il a été possible de voir sur les bandes vidéo. Il a été retrouvé inanimé vers 13 h 54, soit 77 minutes plus tard. Malgré l’intervention des ambulanciers, la mort a été constatée à 14 h 55.

Y avait-il un risque suicidaire?

Uniquement à l’Établissement de détention de Sherbrooke, 67 détenus ont tenté de mettre fin à leurs jours entre 2010 et 2020 et cinq d’entre eux sont morts, selon une enquête publique sur la thématique des suicides en milieu carcéral faite par la coroner Karine Spénard en 2021. Dans son rapport, Me Spénard soutient que pour prévenir pareils drames, plusieurs mécanismes ont été mis en place au fil des années. Par exemple, les agents correctionnels doivent recevoir une formation de six heures sur la prévention du suicide. Aussi, ils doivent remplir une échelle d’évaluation du risque suicidaire», une grille utilisée depuis 2008 chaque fois qu’une nouvelle personne est incarcérée.

Le formulaire de neuf questions concernant Jean-François Ouellette a été rempli lors de sa prise en charge par l’Établissement de détention de Sherbrooke. Le coroner Drapeau note qu’à ce moment, rien n’indiquait qu’il présentait un risque suicidaire. Toutefois, les policiers responsables d’enquêter sur le drame ont indiqué qu’il avait déjà tenu des propos suicidaires par le passé. Son dossier médical indiquait également qu’il avait des antécédents de dépression, qu’il souffrait d’anxiété et qu’il prenait des antidépresseurs et un médicament pour diminuer son anxiété.

Jean-François Ouellette a également communiqué avec un membre de sa famille peu avant sa mort, et lui aurait dit préférer mourir que d’aller en prison». Le coroner indique qu’ il a également prié ce membre de la famille de demander au bon Dieu de venir le chercher».

L’agente correctionnelle congédiée

Selon les informations obtenues par Radio-Canada, l’employée qui était affectée à la surveillance des cellules du palais de justice de Sherbrooke a été congédiée au cours des dernières semaines. Par écrit, le ministère de la Sécurité publique confirme que cette personne n’est plus à l’emploi du ministère. Le président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec, Mathieu Lavoie, affirme toutefois que les recours ne seraient pas terminés dans ce dossier. C’est pour cette raison qu’il a refusé d’accorder une entrevue.

L’expert en criminologie, Jean-Claude Bernheim, est surpris que cette agente correctionnelle ne fasse pas face à la justice. Ce qui est étonnant, c’est que la surveillante qui devait assumer la responsabilité de la surveillance du prévenu n’a pas eu d’accusations de portées contre elle. Toute personne, tout citoyen, doit être responsable des gestes qu’il pose avec les conséquences qui peuvent en découler.»

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales n’a pas donné suite à notre demande à savoir si des accusations seraient déposées contre l’agente correctionnelle en question.

Finies les ceintures au bloc cellulaire

Le coroner Drapeau soutient, dans son rapport, que des mesures ont été prises pour éviter que de tels événements ne se reproduisent dans le quartier des cellules du palais de justice de Sherbrooke. Ainsi, les fenêtres de la centrale ont été libérées de toutes obstructions, la décision a été prise de déplacer l’ordinateur près du moniteur des caméras, un registre de rondes a été mis en place, des rondes physiques ont été imposées et il y a maintenant enlèvement des ceintures et lacets des détenus en cellule».

Ces modifications ont été apportées avant même que le coroner produise son rapport, soutient le ministère de la Sécurité publique dans un courriel. Aussi, les mêmes modifications ont été faites au quartier cellulaire du palais de justice de Granby qui relève également de l’Établissement de détention de Sherbrooke».

Mais Jean-Claude Bernheim, qui s’intéresse au milieu carcéral depuis 50 ans, croit qu’il faut en faire encore plus. Est-ce qu’on va interdire les ceintures, les lacets ou toutes courroies en milieu carcéral parce qu’éventuellement, des gens peuvent se suicider avec [mais] sans se poser la question pourquoi le taux de suicide en milieu carcéral est beaucoup plus élevé qu’en milieu libre?» s’interroge Jean-Claude Bernheim.

Ce dernier soutient que la problématique du suicide en prison est documentée et connue depuis 1850. On est en 2023. Qu’est-ce que le ministère de la Sécurité publique et le ministère de la Santé font par rapport au problème d’ordre de santé psychologique en milieu carcéral? Rien.»

Aucune recommandation n’a été formulée par le coroner Drapeau à la suite de cette mort.

Ni le coroner en charge de l’enquête, Me Richard Drapeau, ni le Bureau du coroner, le ministère de la Sécurité publique ou la direction du palais de justice de Sherbrooke n’ont voulu répondre à nos questions. Encore une fois, M. Bernheim s’explique mal ces refus. On peut voir, dans ce cas particulier, un traitement particulier qui est hors des règles classiques, et je pense que les autorités politiques et correctionnelles doivent se s’expliquer», soutient-il.

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