Vers la fin de la radio et de la télé traditionnelles?

CBC/Radio-Canada se prépare tranquillement à abandonner la bande FM et les ondes hertziennes pour n’être que diffusée par voie numérique. C’est du moins ce qu’a laissé savoir la présidente-directrice générale de la société d’État, Catherine Tait, sans s’avancer toutefois sur un échéancier.

En entrevue au Globe and Mail, Mme Tait a souligné que de plus en plus de Canadiens migraient vers les plateformes numériques, et que le diffuseur public se doit d’accélérer son virage numérique « pour rester pertinent ». « Nous nous levons tous les jours en nous disant : “Qu’est-ce que notre public veut, et où est-il ?” Et il est de plus en plus nombreux sur le numérique », a déclaré celle dont le mandat se terminera cette année.

Catherine Tait a cité l’exemple de la BBC, le diffuseur public britannique, qui prévoit de passer au numérique à 100 % d’ici 2030. Dans le cas de CBC/Radio-Canada, la transition risque de s’étirer sur une plus longue période, a cependant convenu la p.-d.g., puisque plusieurs régions du pays n’ont toujours pas un accès optimal à Internet.

D’ailleurs, des chiffres publiés par le Centre d’études sur les médias (CEM) de l’Université Laval montrent que la télé traditionnelle a encore une portée supérieure à celle du numérique. En 2022, près de la moitié des francophones du pays disaient écouter Radio-Canada ou RDI sur une base hebdomadaire pour s’informer. A contrario, le diffuseur public rejoignait 32 % des francophones sur le Web.

Pas dans l’immédiat

Dans un courriel transmis au Devoir, la société d’État a tenu à rassurer son auditoire en précisant que la fin de la télévision linéaire et de la radio FM n’est pas envisagée à court terme. « Ce n’est pas d’actualité », a-t-on fait savoir. Pas question, donc, pour l’instant, de tourner le dos au 95,1 et au 100,7 dans la grande région de Montréal. Radio-Canada continuera d’être accessible en syntonisant le 2 ou le 5 sur un téléviseur.

La Guilde canadienne des médias, le syndicat des employés de CBC/Radio-Canada, dit avoir eu la confirmation qu’aucun plan n’existait. On reproche à Catherine Tait d’avoir semé la confusion à cinq mois de la fin de son mandat. « Il est regrettable que les déclarations de la présidente de CBC/Radio-Canada aient été faites subitement, sans que les travailleurs du diffuseur public qui créent ses émissions, et le public qui dépend de ses services, aient eu la possibilité d’exprimer leur point de vue », peut-on lire dans un communiqué envoyé mercredi.

La transition vers le tout-numérique viendra inévitablement, mais certainement pas tout de suite, croit tout de même Aimé-Jules Bizimana, chercheur au Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS). « Le streaming gagne en popularité, donc ce n’est pas surprenant que Radio-Canada s’y prépare. Mais c’est étonnant que Mme Tait fasse cette annonce maintenant. Il y a encore beaucoup d’autos qui n’ont même pas de récepteur numérique. Peut-être que dans 10 ans, on va être ailleurs, mais on n’est pas encore rendus là », analyse ce professeur de l’Université du Québec en Outaouais (UQO).

Selon des données compilées par le CEM et recensées en 2021, environ 82 % des Canadiens avaient écouté la radio traditionnelle au moins une fois au cours du mois où a eu lieu l’étude. Un chiffre en légère baisse par rapport à 2017, mais tout de même largement supérieur aux 47 % de Canadiens qui ont utilisé au moins une fois un service d’écoute en ligne durant la même période.

« Est-ce que c’est réaliste de passer uniquement au numérique à court terme ? Pas sûr. Mais au moins, Radio-Canada se donne un objectif. C’est important d’avoir une visée si on veut que les choses changent. Mais de toute façon, c’est tellement une grosse décision qu’inévitablement, ça va venir aussi d’une volonté politique dans le cas de Radio-Canada », conclut Sébastien Charlton, coordonnateur aux opérations du CEM.

Radio-Canada seule pour l’instant

CBC/Radio-Canada est pour l’instant le seul diffuseur au pays à s’être à ce point avancé sur la fin de l’utilisation traditionnelle des ondes. Jointe par Le Devoir mardi, la direction de Télé-Québec est demeurée évasive sur ses intentions pour l’avenir, reconnaissant que « les diffuseurs partout à travers le monde se questionnent », tout en disant vouloir rejoindre les Québécois, « quel que soit le mode d’écoute privilégié ».

Du côté de Québecor, on écarte l’idée de basculer uniquement du côté du numérique. Le président et chef de la direction, Pierre Karl Péladeau, a profité de la sortie de Catherine Tait pour tacler le diffuseur public. « Si CBC/Radio-Canada considère qu’elle n’a plus les moyens d’offrir la télévision conventionnelle aux Canadiennes et aux Canadiens alors qu’elle bénéficie d’une subvention de l’État dépassant le milliard de dollars, imaginez la situation précaire et insoutenable des diffuseurs privés. Les propos de Mme Tait nous confirment qu’il est urgent que le gouvernement fédéral resserre le mandat de CBC/Radio-Canada en éliminant, comme il a promis de le faire, la publicité sur ses plateformes, à l’image de la BBC, régulièrement citée par la directrice générale du diffuseur public », a-t-il déclaré par courriel.

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