Improvisation et confusion électriques

En décembre dernier, le ministre de l’Économie et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, avait frappé les esprits en prêchant pour la « sobriété » énergétique, affirmant que les Québécois pourraient être incités à démarrer leur lave-vaisselle à minuit pour diminuer la demande en période de pointe. Le ministre avait évoqué la possibilité d’inclure dans un projet de loi des tarifs différenciés en fonction des heures de la journée afin de provoquer un changement dans les habitudes de consommation.

Cette semaine, à la veille d’une vague de froid qui a provoqué une forte pointe vendredi et samedi, M. Fitzgibbon ne professait plus la sobriété.

« Au contraire, quand il fait froid, il faut se chauffer », a-t-il répondu à une journaliste, jeudi.

Cette déclaration est survenue à la fin d’une séquence de sept jours où le gouvernement a continué de préciser sa vision concernant le rôle d’Hydro-Québec dans la transition énergétique vers la carboneutralité d’ici 2050.

Des ardeurs tempérées

La semaine précédente, à Laval, le premier ministre François Legault avait d’ailleurs conclu une réunion de ses députés en tempérant les ardeurs de M. Fitzgibbon en matière de sobriété énergétique. Plus question de légiférer, à court terme, pour demander aux Québécois de démarrer leur lave-vaisselle à minuit, expliquait-il en substance, lors d’une conférence de presse.

Partageant toutefois l’avis de M. Fitzgibbon concernant le rôle du privé dans le secteur éolien, le premier ministre avait lui aussi exclu la possibilité de confier à Hydro-Québec l’exploitation de futurs parcs éoliens.

À l’Assemblée nationale, les travaux ont repris mardi avec l’étude du projet de loi 2, qui vise à plafonner les hausses tarifaires d’Hydro-Québec à 3 % et à soustraire la société d’État à l’obligation d’accepter toutes les demandes d’approvisionnement provenant d’entreprises.

Présent lors de l’étude du texte législatif, M. Fitzgibbon a précisé que le gouvernement ne répondrait pas positivement au total de 23 000 MW supplémentaires actuellement demandés par des entreprises, ce qui, selon Hydro-Québec, nécessiterait la construction de 13 centrales hydroélectriques semblables à celle de La Romaine, sur la Côte-Nord.

Le ministre a affirmé que la société d’État serait en mesure de combler seulement les besoins de projets totalisant entre 8000 et tout au plus 10 000 MW. Du même souffle, il y a rayé de la liste des projets de production d’hydrogène vert, dont les demandes totalisaient 9000 MW.

Un train peut en cacher un autre

M. Legault et son ministre ont néanmoins terminé la semaine en associant le gouvernement à un projet d’hydrogène produit avec de l’énergie renouvelable. Une subvention de 3 millions de dollars a ainsi été accordée à un projet pilote de train touristique à l’hydrogène vert dans Charlevoix.

À cette occasion, M. Fitzgibbon a finalement précisé que, malgré ce qu’il avait dit deux jours plus tôt, Hydro-Québec approvisionnera tout de même de nouveaux projets stratégiques d’hydrogène vert. Il a du même souffle déclaré que le tiers du secteur du transport lourd aura recours à l’hydrogène vert, tout en reconnaissant qu’il ne connaît « pas réellement » la proportion que ce carburant occupera dans la transition énergétique.

Confusion et improvisation

Titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau constate que cet enchaînement de déclarations témoigne d’une absence de plan clair au gouvernement dans le dossier de la transition énergétique, qui doit permettre au Québec de respecter ses engagements dans la lutte contre les changements climatiques. « En faisant des déclarations non préparées qui sortent de l’esprit de nos dirigeants sans que l’on comprenne la source de ces déclarations, ça sème la confusion », déplore-t-il.

Professeur de physique à l’Université de Montréal et directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal, Normand Mousseau fait le même constat. « Je pense qu’ils n’ont pas saisi ce que ça signifie, la transition énergétique dans son ampleur, ce que ça représente, et la nécessité d’une stratégie globale », affirme-t-il.

 

Les deux chercheurs s’étonnent des chiffres brandis par M. Fitzgibbon, dont ils n’ont jamais entendu parler.

M. Mousseau affirme qu’il n’a jamais vu aucune donnée scientifique établissant que le tiers du secteur du transport lourd aura besoin d’hydrogène vert. « Prenez ça comme une déclaration politique, prévient-il. Il n’y a pas d’études là-dessus que j’ai vues. »

M. Pineau met aussi en doute l’analyse du ministre.  Je pense que c’est une estimation qui vient de la tête des conseillers, je ne vois aucune étude qui peut permettre d’affirmer ça », assène-t-il à son tour.

Réticence au changement

Le changement de cap pour la révision des tarifs résidentiels témoigne également d’une navigation à vue, constate M. Pineau. « Politiquement, ce n’est pas payant de commencer un débat sur les tarifs, dit-il. Ça emmerde tout le monde de parler de ça, et il y a une grosse réticence au changement ».

M. Mousseau met cela sur le compte de l’inexpérience de M. Fitzgibbon. « On voit que ça n’a pas passé, note-t-il. Il venait d’arriver en poste, il a absorbé ce qu’on lui a dit à l’étranger sans se rendre compte que ce n’était pas le problème au Québec. »

Les deux chercheurs sont partagés sur l’utilité de la mesure. Pour M. Pineau, le gouvernement ne fait que pelleter le problème en avant. « Ça semble être le reflet d’un manque complet de plan, d’une improvisation assez profonde », dit-il.

M. Mousseau croit inutile d’avoir des mesures en dehors des périodes de pointe puisque la puissance actuelle de 40 000 MW d’Hydro-Québec répond à la demande la quasi-totalité du temps. « Dire aux gens de laver leur vaisselle la nuit, au milieu de l’été, ça n’a aucun sens », explique-t-il.

Approvisionnements

Malgré la révision à la baisse de ce qui pourrait être offert pour de nouveaux projets d’entreprises, M. Mousseau juge que la quantité de 8000 MW à 10 000 MW, soit au moins 80 TWh par année, est considérable. Il rappelle que le gouvernement a déjà reconnu qu’il faut déjà 100 TWh supplémentaires rien que pour électrifier l’économie dans le cadre de la transition énergétique. « C’est basé sur leur jugement, note-t-il. Si on demandait de trouver 10 000 MW, ce ne serait pas facile. »

M. Pineau estime que cet objectif pourrait tout de même être atteint en cinq ans, quoiqu’il souligne encore là le manque de plan précis. « Ce n’est pas impossible, dit-il. Ça relève plus de l’improvisation que d’une planification et d’études sérieuses, transparentes et indépendantes. »

Quant à la place du privé dans l’éolien, M. Mousseau croit qu’il serait plus avantageux de laisser Hydro-Québec exploiter ses propres installations. « On paie plus cher pour l’éolien parce que les profits, de 15 % à 20 % perçus par les propriétaires des parcs, ne sont pas dans les poches des Québécois », dit-il.

Une opinion que ne partage pas M . Pineau, pour qui Hydro-Québec en fait déjà assez. « Je ne pense pas que ce soit une erreur de laisser une part de marché à d’autres joueurs. »

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