Tel un panneau publicitaire, ou plus exactement une vitrine de magasin, les oeuvres Maximum Sun de David Blatherwick et Doubling de Nelson Henricks interpellent par étapes. Un premier regard furtif les remarque, un second, sur le chemin du retour, les rend déjà familières. Et celui de la personne qui s’arrête devant elles découvre le dialogue qu’elles instaurent.
Vous l’aurez compris, ces oeuvres —peintures de Blatherwick, vidéos de Henricks — sont visibles de la rue. Elles se trouvent dans ce qu’on pourrait considérer comme les plus petites galeries de Montréal : La Vitrine et L’Endroit indiqué.
La première, rue Rachel, près de la rue de Lorimier, tient en deux devantures autour de l’entrée d’un duplex. La seconde, rue Marie-Anne, à l’angle de la rue Laval, consiste en deux fenêtres servant d’écrans de diffusion encadrant, elles aussi, une porte.
De manière plus ou moins récurrente depuis des années (2003 pour l’un, 2007 pour l’autre), ces deux espaces inusités se hissent en étendards de la différence. Ils cassent les images qu’on a du lieu de culture, du commerce, du bâtiment résidentiel. L’art, ici, est une pause dans le brouhaha urbain.
« L’idée n’était pas de faire de L’Endroit indiqué un lieu d’art, explique dans un courriel le commissaire Andrew Forster, plutôt un espace qu’on découvre au coin d’une rue en s’exclamant : “Qu’est-ce que c’est que ça ?” En soi, une expérience non préméditée. »
Courte vidéo muette sur deux écrans diffusée en soirée, Doubling a quelque chose du langage des signes. Ce n’est peut-être pas à nous que s’adressent les doigts à droite de la porte, mais à l’homme sur la gauche, fort en expressions non verbales. Souvent, chez le très musical Nelson Henricks, actuellement à l’honneur au Musée d’art contemporain (MAC), le langage est codifié, rythmé par sa propre logique, quelque peu dissonante.
Le diptyque de David Blatherwick met un baume sur notre grisaille d’hiver. Un double baume puisque les deux tableaux représentent deux gros soleils bien ronds. Cet ensoleillement salutaire n’est pas dénué de surprises : la peinture à droite comporte des taches solaires, liées à une grande intensité magnétique et à un environnement moins chaud. L’uniformité est trompeuse.
Regard et apparences
La Vitrine, c’est un peu chez Stephen Schofield et Michel Daigneault : ils ont niché leurs ateliers dans cet ancien magasin. Collectionneurs, les deux artistes ont commencé par exposer leurs acquisitions à la vue des piétons. Jusqu’à ce que le duo Cozic s’y invite. C’était en 2004.
« Cozic a fait quelque chose de mieux, nous a fait voir l’espace différemment, plus que comme des murs d’exposition », confie Stephen Schofield. Depuis, les artistes ne cessent de s’y succéder. « Certains ont mis l’accent sur l’effet miroir des deux fenêtres, d’autres ont créé un récit prenant forme d’une fenêtre à l’autre, et d’autres encore ont fait des installations qui unissent les deux fenêtres », lit-on dans le topo mis en ligne.
Rue Marie-Anne, les artistes sont libres aussi de s’inspirer de l’architecture, si singulière par sa façade en angle.Andrew Forster et les propriétaires du bâtiment (les architectes Anne Cormier et Randy Cohen) apprécient le côté instinctif qui anime L’Endroit indiqué. Si l’idée de rendre celui-ci un « espace alternatif sérieux » fait son chemin, l’esprit do-it-yourself (DIY) demeure. « Un espace DIY contribue autant à la vie intellectuelle qu’un [établissement] de nature institutionnelle. Personne ne devrait attendre qu’un conseil des arts accorde l’autorisation de réfléchir. Faites-le, point. Jouez. Affichez-vous », clame Forster, commissaire attitré.
Nelson Henricks a accepté son invitation au moment où il décidait de ne pas présenter Doubling au MAC. L’idée de jouer avec l’espace urbain lui a plu, et il y a vu l’occasion de relier son expodu centre-ville à cette intervention sur le Plateau Mont-Royal. « Doubling est comme un complément à ce qu’on voit au musée, en particulier aux Screen Tests de Warhol [série de portraits muets] que j’ai programmés, commente-t-il. [Doubling], c’est l’art de voir, de comprendre les apparences. »
Regard et apparences sont au coeur de Maximum Sun. Exposées dans des galeries, jamais à la satisfaction de David Blatherwick, les toiles de 2010 ont pris toute leur dimension chez son auteur, quand la visite confiait se sentir réchauffée à leur vue. « Leur impact est viscéral et, si j’ose dire, universel. L’idée de les partager avec un public anonyme est très attirante », dit l’artiste, ravi d’occuper La Vitrine à la suite d’une déjà longue liste d’exposants. Qui continuera à s’allonger. De l’avis de Stephen Schofield, l’espace a ses fans, y compris le facteur, qui réagit lorsque deux semaines s’écoulent sans qu’on lui donne quelque chose à voir.